Par l’ASDAC – Association des Directeurs des Affaires Culturelles d’Ile de France

Les collectivités territoriales sont sans conteste le théâtre de forts rejets culturels et artistiques depuis les dernières élections municipales. Populisme ? Démagogie ? Reniement ?

Quel est le tournant que l’on veut faire prendre à la culture ?

En Ile de France, les exemples sont déjà trop nombreux: un centre d’art (le CAC de Brétigny-sur-Orge) et une scène conventionnée (le Forum du Blanc-Mesnil) ont été fermés, d’autres lieux d’art et de culture ont été vidés de leur substance (théâtre et cinéma du Vesinet, Confluence à Paris, Mains d’œuvres à Saint Ouen, Friche Amin Théâtre à Viry Chatillon…), des festivals ont été annulés et des résidences artistiques supprimées (Compagnie du théâtre intérieur,  Festival En compagnie(s) d’été à Paris, Zone d’Occupation Artistique à Paris, Jazz Muzette des Puces à Saint Ouen…) …

95 % des collectivités françaises baissent leur budget culturel cette année. Les budgets des collectivités d’Ile de France oscillent entre – 4 % et – 12 % pour la culture.

Le phénomène est inédit dans son ampleur. La problématique budgétaire à laquelle le pays est confronté est réelle, mais elle sert de masque à ce qui nous apparait comme un mouvement plus profond.

Ce qui nous inquiète ici, c’est l’hostilité revendiquée ou le désintérêt affiché d’un nombre croissant d’élus et de directeurs généraux pour le maintien d’une politique publique de la culture et leur refus d’écrire les politiques culturelles de demain. On entend parler de culture, non comme projet ou ambition politique, mais comme la somme d’initiatives privées, la satisfaction d’un goût commun d’évidence. Ce qui nous alarme, c’est le nivellement et l’économie simplifiée d’une « culture pour les gens, censée se conformer à leurs goûts. »

C’est un renoncement, qui dépasse les référentiels politiques traditionnels. C’est une rupture profonde avec une longue et patiente construction de cinquante années. C’est peut-être un tournant majeur et national qui se profile.

Face à la gravité de cette situation et au regard des événements tragiques de ce début d’année qui nous obligent à relever de nouveaux défis, l’ASDAC, Association des Directeurs des Affaires Culturelles d’Ile-de-France, lance une alerte sur cet état de fait, révélateur d’un véritable malaise démocratique, et interpelle les citoyens, les professionnels de la culture et les élus.

Parlons économie de la culture. Sous couvert d’une indéniable crise de moyens des collectivités territoriales, le secteur culturel et artistique est pointé du doigt comme une dépense non prioritaire, son utilité est mise en doute et en fait la victime privilégiée des coupes budgétaires.

Or, la culture est un puissant levier économique pour l’emploi, le développement urbain. Toutes les études le disent. Faut-il rappeler que le foisonnement culturel et artistique qui a caractérisé notre pays jusqu’à présent est le vivier et le terreau d’une Europe touristique qui attire le monde entier et d’une France – celle de l’économie créative et de l’industrie du luxe -, qui irrigue le monde entier ?

Il ne s’agit pas, pour nous, de déroger à la solidarité de l’effort ou de nous exonérer de toute rigueur budgétaire, d’éviter toute adaptation et évolution de nos pratiques.

Mais nous souhaitons donner à comprendre le non-dit ou le déni ambiant.

« L’élitisme » dont certains élus taxent les politiques culturelles dont ils « ne veulent plus », peut et doit sans aucun doute être discuté. De manière caricaturale, on oppose les publics et les populations,  « les gens » et « les bobos », les quartiers et les centres-villes, de la même façon on désolidarise les enjeux artistiques et culturels.

Des dérives et des intransigeances ont sans doute été contre-productives. Le primat de l’artistique indiscuté est un piège constant du débat. Le déficit de l’évaluation des politiques culturelles au nom des valeurs suprêmes est une faute. Toute politique publique doit s’y soumettre et y puiser son nouvel élan.

La doxa de la culture pour tous a fait souvent écran à la culture de quelques-uns. Mais la démagogie n’est pas l’alternative. Seul le travail de tissage, de maillage, y compris du travail de création, au service de nos populations justifie la structuration d’une politique publique de la culture.

Tout le travail des professionnels de la culture que nous sommes est fondé sur l’articulation entre art, culture, diversité, cohésion sociale et politiques publiques territoriales. Cette articulation est aujourd’hui le socle de la transversalité, de la mutualisation des politiques publiques qui favorisent la cohérence et le développement économique des territoires et l’être ensemble.

Notre société est en souffrance et en recherche de repères. Les attentats terroristes de janvier dernier révèlent un déséquilibre et une déshérence profonde de la pensée. Ils braquent les projecteurs sur une véritable fracture et révèlent, au-delà des villes qui le vivent au quotidien depuis de trop nombreuses années, le scandale de la ségrégation territoriale, culturelle, éducative, citoyenne. Ils remettent en scène une urgence à laquelle la culture peut prendre toute sa part en tant que service public au service de l’éducation, du vivre ensemble et du respect des peuples, de l’émancipation humaine.

Les leçons de l’Histoire sont implacables ; la dénonciation des avant-gardes, le rejet de l’art et des artistes, la fermeture des théâtres et des musées, la censure, ont toujours été les signes avant-coureurs de la montée des populismes et de l’avènement des dictatures, si ce n’est des guerres.

La culture doit faire partie intégrante du débat qui s’ouvre comme du projet de société démocratique qui a forgé les politiques culturelles d’hier.

L’état de fait décrit ici pose l’immense question de la fragilité de notre modèle culturel et la nécessité absolue d’ouvrir à nouveau ou enfin le débat trop souvent évité car complexe autour d’une question majeure :

A quoi sert la culture ?

Notre expérience de professionnels nous permet d’ouvrir quelques pistes.

Qu’en est-il du partage de l’incomparable plaisir de l’éveil intellectuel qui deviendra esprit critique, et de l’ineffable joie éprouvée à créer, transmettre et partager ?

Quel projet de société construit-on en misant sur l’art et la pensée, plutôt que sur la domination économique et politique ? En quoi cela modifie-t-il notre rapport au monde et aux autres, pour porter notre histoire humaine ensemble ?

La démocratie réelle, la démocratie en actes, peut-elle se passer de culture ?